ترجمهی فرانسوی داستان «درشتی» از علیاشرف درویشیان
Calame
Une nouvelle de "Ali Ashraf Darvishian" écrivain kurde iranien (1941 - 2017)
ترجمهی تارا ابدالی - Traduite du persan par Tara Abdali
- Issu d’une famille modeste de Kermanshah, en région kurde d’Iran, Ali Ashraf Darvishian (1941-2017), est un rommancier et collecteur des contes folkloriques et légendes iraniens. Il a commencé à travailler dès l’âge de 12 ans. Après ses études, il s’est rendu dans les villages défavorisés autour de sa ville natale pour travailler comme instituteur dans les écoles. Ses expériences en tant qu’enseignant et ses observations durant cette période, ont inspiré nombre de ses histoires dans les années suivantes. La pauvreté, la discrimination, la résistance et la lutte, font partie des questions centrales qu’il aborde dans ses livres, tout en ayant un regard critique sur les enjeux et les problèmes de la société iranienne. Il a été censuré et avant et après la révolution iranienne. Au cours des années 1972 à 1979, il a été arrêté à plusieurs reprises en raison de ses activités politiques et de l’écriture de livres qui ne plaisaient pas au régime totalitaire.
Calame
Ali Ashraf Darvishian
Le garçon inséra la lame du couteau dans la longue tige du roseau et appuya sur le manche. Le couteau était encore dans la chair du roseau lorsqu’un éclair illumina la lame et son reflet frappa les yeux du garçon. Le tonnerre rugit. Soudain, une forte pluie tomba sur les roseaux et transforma la surface lisse de l’étang en un visage variolé. Le vent galopait dans la roselière et le bruit sec des roseaux s’entendait partout.
Au rugissement du tonnerre, les hérons sautèrent vers les roseaux. Le plus petit d’entre eux plongea dans l’eau et ne remonta plus à la surface. La pluie était froide et perforait la chair de l’étang. Le brouillard tombait et l’atmosphère était sombre et désordonné à cause de la brume et des averses.
Le garçon coupa les roseaux en petits morceaux. Il plaça le bout d’un des roseaux sur son œil droit et regarda l’autre côté de l’étang à travers le trou. Dans le cadre circulaire et brumeux du roseau, il aperçut des voitures de l’autre côté de la roselière. Trois voitures militaires kakis se trouvaient là et des gens en imperméables noirs en descendaient. Les capuches larges des imperméables couvraient leur têtes et la pluie et le brouillard rendaient leurs visages invisibles. Le garçon, craintif mais avec la légèreté d’un morceau de nuage, rampa en avant et regarda avec des yeux étonnés à travers les nombreux roseaux.
Les hommes vêtus de noir, aux visages hachurés par l’averse, firent descendre huit personnes des voitures. Leurs yeux avaient été bandés avec des bandages blancs, et sous les gouttes qui tombaient follement, ils se dépêchèrent de les aligner tous les uns à côté des autres. La main droite de la première personne était bandée et le sang en coulait. Le tissu était du même matériau que le bandeau sur ses yeux. Sa moustache blonde et douce se balançait au gré du vent et des gouttes de pluie transparentes en coulaient des deux côtés. Les gens vêtus de noir marchaient à toute vitesse et leurs longs imperméables s’enroulaient autour de leurs jambes.
Le garçon mouillé par la pluie, serrait les roseaux dans sa main. Immobile, il fixait l’autre côté de l’étang. Parfois, il tremblait de la tête aux pieds. La pluie claire, en points ou en traits, découpait l’espace et la brume se glissait entre chaque partie. Les hommes vêtus de noir sortirent leurs fusils de sous leurs imperméables et se mirent à genoux. Tout était mouillé et l’eau de l’étang montait. L’un d’eux sortit un papier de sa poche et lut dans une langue que le garçon ne connaissait pas. Il lut vite et en bégayant. La feuille se mouilla, se déforma et se colla à la main de l’homme. Celui-ci décolla le papier de ses mains avec beaucoup de difficultés et le jeta par terre bout par bout; mais l’un des morceaux se colla à son imperméable et resta là.
Un rugissement secoua les traits cristallins de la pluie. Les hérons se cachèrent dans la roselière. Le premier homme, celui dont la main était bandée, bougea. Il serra ses poings. La force des balles fit sauter en l’air les trois et quatrième personnes qui étaient de fins et minces adolescents. Une explosion au loin et la pluie est tomba encore plus fort qu’auparavant. Un héron effrayé passa près des pieds du garçon et enfouit précipitamment sa tête dans les bosquets de la roselière, mais sa queue et ses pattes aux palmes jaunes et ouvertes restèrent visibles. Le tremblement des pattes de l’oiseau bleu effraya davantage le garçon.
Après le rugissement des balles, tout devint silencieux. Le héron, effrayé, sortit péniblement des pailles de roseaux, mais il resta immobile à cause du bruit de nouvelles balles tirées une par une et à intervalles réguliers. Sa petite tête couleur acajou tremblait à chaque tir. Son dos duveteux, sur lequel glissaient les gouttes de pluie, trembla huit fois sous des frappes invisibles. Il plongea rapidement dans l’eau et coula. La pluie s’arrêta et le brouillard se dissipa. Le garçon revint à lui.
Paralysé et étonné, il eut envie d’un soleil brûlant. Comme chaque jour, il attendait que leur voisin Tonton Siavakhsh vienne couper les roseaux. Il essuyait son visage mouillé avec le dos de sa main et le bord de son manteau lorsqu’il entendit du loin la voix de Tonton:
Aha…ha…ha…ho !
Le garçon, la voix tremblante, répondit d’un air confus :
Hé… ho… ho… ho !
Un instant plus tard, Tonton Siavakhsh sortit du milieu des roseaux. Il se plaça en face de lui et ouvrit son turban mouillé pour l’essorer.
_ « Quelle tempête! Quel mauvais jour! Nous sommes venus pour rien. »
Le garçon détourna ses yeux lourds et étonnés de l’étang.
_ « Ils sont venus d’un coup. Avec les averses. Là-bas… »
_ « C’est fini maintenant. Nous sommes déjà là. Il vaut mieux commencer notre travail. »
Il toussa et se dirigea vers les roseaux. Ses chaussures en caoutchouc glissaient sur la boue et les pailles pourries.
_ « Il faut d’abord faire du feu. Du feu. »
Ils s’assirent autour du feu et de la vapeur s’échappa de leurs vêtements. Tonton plaça la lame de son couteau sur le dos de son ongle. Le garçon montra l’autre côté de l’étang avec ses mains tremblantes et dit timidement : Là-bas derrière les roseaux… Tonton regarda l’autre côté.
_ « Hein ! Que s’est-il passé là-bas ? »
_ « Là-bas, les chasseurs, ils ont fait une grande massacre. »
Tonton fixa le visage du garçon.
_ « Pourquoi as-tu blanchi comme du calicot? Viens me montrer. Qu’est-il arrivé petit frère? »
Lorsqu’ils atteignirent l’endroit indiqué par le garçon, un filet de pluie et de sang coulait sous leurs pieds. Tonton se pencha.
_ « Chasseurs ! Si tôt le matin?! »
Le garçon frissonna.
_ « Le bruit des balles… les averses ! Les hérons ont eu très peur. Ils… »
_ « Ils ont certainement tiré sur des cerfs. Un grand troupeau ! »
Le garçon était toujours abasourdi.
_ « Ils étaient huit. »
_ « Qui? »
_ « Les cerfs! J’ai dû rêver. »
et il se frotta les yeux fiévreux.
_ « Ils parlaient d’une manière que je ne comprenais pas du tout. »
Tonton s’assit par terre et remua la boue avec sa main.
_ « Ce sont des empreintes humaines. Ils étaient nombreux. Ils ont piétiné les traces des cerfs. »
Et avec l’index, il ramassa quelque chose d’aussi blanc que le coton et aussi doux que le plâtre dans le ruisseau sanglant.
_ « Ils leur ont tirés une balle dans la tête, de près! »
Il réfléchit un peu et fixa les roseaux.
_ « Ils les ont surpris. »
Le garçon dit : Peut-être
Tous deux retournèrent au feu mourant avec leur tas de paille. Tonton commença à fabriquer une flûte et le garçon ajusta les extrémités des roseaux qu’il avait coupés et les mit dans son sac. Tonton regarda attentivement l’un des roseaux.
_ « Regarde! Il y a du sang éclaboussé sur les roseaux. »
Le garçon tourna les roseaux dans sa main.
_ « Ma grand-mère disait que chaque fois que la foudre frappe les roseaux, ils seront tachetés du sang. »
_ « Elle a dit la vérité. J’ai entendu la même chose. » Dit-il en prenant un morceau de braise rouge. Il souffla dessus doucement jusqu’à ce qu’il rougisse et brûla la surface lisse des roseaux à intervalles réguliers en faisant des trous alignés. Il assembla deux des roseaux percés et les attacha en les serrant avec du fil ciré. Puis il coupa deux roseaux plus courts et plus étroits avec un couteau et les inséra dans l’ouverture des roseaux percés et dit doucement : « C’est devenu un bon Dozaleh.¹ »
Il se réchauffa les mains sur le feu. Il remit son turban encore mouillé sur sa tête et posa le dozaleh sur ses lèvres. Dozaleh gémit et soudain l’étang, la roselière et le monde se tut pour que le son puisse se propager partout.
« Souffle Neyzan², Souffle Neyzan
Joue le Ney³ dans les champs et dans les villages
Ils m’ont tué dans la roselière. »
Tonton retira rapidement le dozaleh de ses lèvres et demanda au garçon :
_ « Quelqu’un chante dans les roselières lointaines. Tu entends ? »
Le garçon, étonné le fixa et dit :
_ « C’est toi qui as chanté Tonton ! »
_ « Moi… j’ai seulement joué le dozaleh. » Et il examina soigneusement et curieusement le dozaleh et la remit entre les lèvres.
« Souffle Neyzan, Souffle Neyzan
comme tu joues bien, Neyzan
Joue dans les champs et dans les villages
Ils m’ont tué dans la roselière. »
Tonton a immédiatement caché le dozaleh dans sa poche.
_ « Oui, si ! Quelqu’un chante au loin avec le dozaleh. Qu’il était triste son chant. »
Le lendemain, le garçon apporta les roseaux chez son maître de calligraphie et les posa devant lui. Le maître regarda les yeux rouges et fiévreux du garçon et tint ses mains fines et fragiles.
_ « Tu as de la fièvre, mon garçon! Tes mains sont en feu. »
Le garçon dit doucement : « Hier, je suis allé à la roselière pour couper des calames. J’ai été surpris par la tempête et l’averse ».
Le maître hocha la tête et donna au garçon un exemple à transcrire.
_ « Voilà le texte à transcrire… Reste à la maison quelques jours pour te rétablir. Tu peux t’occuper avec ces exercices. »
Le garçon rentra à la maison et pendant une semaine il brûla de fièvre. Dès qu’il se senti guéri, et encore allongé dans son lit, il se mit à transcrire ses devoirs et dès qu’il eut fini, il partit chez son maître pour lui montrer ses calligraphies. En voyant son écriture, le maître resta bouche bée.
_ « C’est merveilleux, mon fils. Tout ça… C’est toi qui l’as calligraphié? »
Les petites oreilles du garçon devinrent rouges corail.
_ « Oui, Maître. »
Le maître, surpris, parcourut le papier des yeux et dit en fronçant les sourcils : « Mais… ce… ne sont pas les exemples que je t’ai donnés. D’où… as-tu eu ça ? »
Le garçon dit : « J’avais de la fièvre. Comme si ce n’était pas ma main… Comme si le calame glissait tout seul sur le papier. »
Le maître déplaça ses lunettes sur son nez et fixa l’écriture du garçon.
« Je n’ai i i i pas peur r r r r . . .
Si ce rêve e e e traverse e e e le sommeil l l l d’une nuit t t t dérangée e e e
Ou l’illusion n n n d’une fièvre e e e. . .
Ou un œil éveillé é é é. . .
Ou une âme e e e triste e e e »
Et il regarda la feuille avec des yeux poussiéreux :
« Plusieurs fois s s s ils nous ont saignés s s s …
Souviens-toi i i i i i
Et t t t le seul gain e e e e du massacre e e e e. . .
était t t t un bout de pain n n n sec c c c
sur nos tables s s s sans abondance. »
Le maître se mit en colère soudainement.
_ «Je t’avais déjà dit de ne jamais calligraphier en état de fièvre. »
Le garçon gémit, pur comme un roseau :
_ «J’allais bien, maître. J’allais bien. »
Le professeur cria :
_ «Fièvre et délire ! »
Le garçon pensa au tremblement du dos du héron bleu ainsi qu’aux palmes frémissantes de ses pattes et remua ses lèvres avec peur :
_ « Maître, je vous jure, j’allais très bien. Juste un peu… il allait… j’allais… peut être… »
Le visage du garçon était si sincère et innocent que le cœur du maître s’adoucit et il fixa les écritures. Un murmure se fit entendre des ruelles lointaines. C’était comme si tous les oiseaux du monde chantaient pour accompagner le son d’un dozaleh :
« Souffle Neyzan, Souffle Neyzan
comme tu joues bien, Neyzan
Joue dans les champs et dans les villages
Ils m’ont tué dans la roselière. »
Le maître attristé d’avoir entendu la chanson dit :
_ « Je dois te faire un nouvel exemple à transcrire. Donne-moi ton calame! »
Le garçon donna son calame au professeur. Le maître se pencha alors et a commença à écrire. Une fois fini, il plaça l’exemple devant le garçon :
_ « Lis-le-moi à voix haute. »Le garçon lut l’écriture du maître de sa voix de velours:
« Je n’ai pas peur
Si ce rêve traverse le sommeil d’une nuit troublée. »
Le maître cria :
_ « Lis l’exemple que je t’ai donné, pas le tien ! »
Le garçon frissonna.
_ « Ce . . Ceci est votre propre exemple, maître ! »
Le maître prit avec colère la feuille des mains du garçon et fut étonné en voyant sa propre écriture. Il fixa le calame qui tremblait dans sa main :
_ « Ce calame! Avec une tâche de sang! »
Le garçon posa ses yeux fiévreux sur l’oiseau pâle du kilim qui recouvrait la pièce:
_ « Ma grand-mère disait que chaque fois qu’il y a un orage dans la roselière, les roseaux…»
1– Dozaleh : une variété de Ney ; un instrument de musique folklorique kurde, composé de deux tuyaux et de deux anches simples battantes.
2– Neyzan : la personne qui joue du Ney.
3– Ney : signifiant « le roseau », mais le terme est également utilisé pour les flûtes persanes issu de cette plante. Ancien, primaire et sacré, le Ney est un instrument mystique dans la littérature persane.